Témoin des conséquences de la crise sanitaire et de l’état actuel de la santé mentale en France, un collectif d’acteurs majeurs de la santé mentale et de la prévention du suicide porte un projet de grande cause nationale en faveur du lien social.
En sortie de crise sanitaire, acteurs associatifs et praticiens ont observé une dégradation significative de la santé mentale en France. Fin 2022, 17% des Français montraient les signes d’un état dépressif selon Santé Publique France, soit une hausse de 7 points par rapport à une période hors épidémie, et 10% déclaraient avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année, soit une hausse de 5,5 points[1].
Phénomène également inquiétant, depuis la fin des mesures de confinements et de restrictions de déplacement, le taux d’hospitalisation pour tentative de suicide a augmenté de façon constante. Cette situation touche particulièrement les jeunes filles et femmes de 10 à 24 ans d’après les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : suite au deuxième confinement, on observait un taux d’hospitalisation pour tentative de suicide des filles de 10 à 14 ans situé à 1,6 fois le taux moyen observé pour ce groupe avant la période du Covid[2].
L’entrée du Covid-19 dans nos vies, ses conséquences immédiates et les mesures prises au niveau politique, ont eu un impact indéniable sur la santé mentale de la population : parfois propice à l’introspection et à une prise de conscience positive, la période a également pu être une traversée difficile et éprouvante.
Nous, acteurs de la santé mentale, avons donc été fortement sollicités. Dans le secteur associatif, le nombre d’appels sur les lignes d’écoute a augmenté dès le début de la crise sanitaire et n’a pas connu de déclin depuis. Parmi les praticiens, les consultations pour idées suicidaires et les demandes de prises en charge ont fortement augmenté[3]. Simultanément, la recherche d’information sur la santé mentale, les troubles psychiques et les soins a aussi augmenté de manière exponentielle. Toutes les observations dont nous avons été témoins en la matière, mises bout à bout, décrivent une situation de mal-être grandissant, qui semble persister depuis plusieurs années.
Faire face quotidiennement à cette souffrance pourrait induire un épuisement, un sentiment d’impuissance voire d’inexorabilité chez les acteurs en santé mentale qui finissent par « s’hyperadapter ».
L’altération progressive de la santé mentale est suffisamment inquiétante pour que nous associions nos compétences dans un collectif uni pour atténuer les souffrances psychiques de la population. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la santé mentale est un « état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ».
Il est fondamental de comprendre que la dégradation d’un état psychique révèle ce que devient notre société, elle en est bien souvent la conséquence. Notre société occidentale, hyper-connectée, devrait théoriquement être celle de la fin de la solitude : nous avons des pratiques interactionnelles riches, des conversations asynchrones grâce auxquelles nous ne sommes jamais vraiment seuls. Pourtant, il est plus que jamais difficile de trouver sa place, ses repères. Aussi puissantes et prodigieuses puissent-elles être, les nouvelles technologies ne peuvent pas dénouer toutes les difficultés, couvrir tous les besoins humains. Nous sommes convaincus que la santé mentale nécessite de se soutenir, de s’écouter, de s’allier.
Dans ce contexte, il apparaît clairement que le lien social est le dénominateur commun d’un engagement pour l’amélioration de la santé mentale. C’est pourquoi notre collectif porte à votre attention ce projet de grande cause nationale visant à entretenir et réparer le lien social pour une santé mentale partagée.
Ce lien social que nos aînés ont perdu dans les villages désertés, que nos quinquagénaires ne connaissent pas dans des zones urbaines impersonnelles, que nos jeunes ont vu être bouleversé par les réseaux sociaux, auquel les jeunes parents aspirent pour faire face à leur mission éducative... Il existe un besoin authentique et sincère de relationnel, qui est pourtant en train de se déliter.
En matière de prévention du suicide, il est prouvé que le repérage de proximité par des sentinelles, la prise en compte rapide de la souffrance identifiée par des professionnels de santé et le recours aux liens sociaux pour accompagner les personnes en souffrance permettent de réduire fortement les risques de suicide et de réitération. Le lien social est l’essence même de la prévention en santé mentale. Cependant, s’il est indispensable d’agir en aval des crises suicidaires, il est aussi nécessaire d’agir en amont, en mobilisant les leviers d’intervention pertinents en matière de promotion de la santé mentale.
Nous demandons que l’État et les collectivités territoriales prennent la mesure du problème et se mobilisent pour y faire face, en agissant sur les déterminants de la santé mentale, dans lesquels le lien social occupe une place centrale.
Une grande cause nationale permettrait de valoriser le maillage des actions menées en faveur de la prévention et de la promotion de la santé mentale en France, en s’appuyant sur l’ancrage territorial des acteurs locaux de la prévention, du soin et de la prise en charge et de l’accompagnement des personnes. Les objectifs seront de plusieurs natures : non seulement fédérer les acteurs de la santé mentale, soutenir et valoriser la prévention précoce et la promotion de la santé mentale, informer largement sur les troubles de la santé mentale et rappeler que le lien social est l’affaire de chacun. S’engager en tant que bénévole, devenir sentinelle en prévention du suicide, écouter un entourage qui va mal, être attentif à la réponse quand on pose la question “Comment ça va?” : tout cela forme le lien social, essentiel à la santé mentale.
Nous sommes convaincus que réparer le lien social peut réparer la santé mentale.
Liste des signataires :
Ghislaine Desseigne, présidente fédérale de S.O.S Amitié, Marc Fillatre, psychiatre au CHRU de Tours, président de l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide, président de VIES 37, Christine Ferron, déléguée générale de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé, Gladys Mondiere, présidente de la Fédération française des Psychologues et de la Psychologie, Erkan Narmanli, Président de Nightline France, Christophe Peroche, président de Dites Je Suis Là, Alain Villez, Président des Petits Frères des Pauvres, Marc Binnié, co-fondateur du dispositif Aide Psychologique aux Entrepreneurs en Souffrance Aigüe (APESA) France, Agnès Marie-Egyptienne, Directrice générale Fondation ARHM, Sylvie Bourgouin, secrétaire générale de La Porte Ouverte, Liliane Dassis, administratrice fédérale S.O.S Amitié France, Jean-Luc Douillard, co-fondateur du dispositif APESA France, Françoise Facy, vice-présidente de l’UNPS, Arnaud Goulliart, Directeur du pôle prévention et promotion de la santé mentale Fondation ARHM, Laurent Le Boterve, président de S.O.S Amitié Paris Île-de-France, Pascal Mariotti, président de l’association des établissements du service public de santé mentale (AdESM), Yann Massart, fondateur et délégué général de Dites Je suis là, Nathalie Roudaut, déléguée générale de Nightline France, Nathalie Pauwels, chargée de mission, Constance Peruchot, administratrice fédérale S.O.S Amitié, écoutante S.O.S Amitié Paris Île-de-France.
[1] Santé Publique France, CoviPrev : une enquête pour suivre l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l’épidémie de COVID-19, 11 janvier 2023 [URL].
[2] DREES, Suicide : mesurer l’impact de la crise sanitaire liée au Covid-19 – Effets contrastés au sein de la population et mal-être chez les jeunes – 5e rapport / Septembre 2022, 6 septembre 2022.
[3] Santé Publique France, Conduites suicidaires dans les régions françaises pendant et à la suite de la crise sanitaire, 3 février 2023 [URL].